Histoire d'une
correspondance
Une figure
singulière

Des réseaux de sociabilité étendus

La culture comme lien social

Marie Arconati-Visconti fréquente aussi des gens de théâtre et de musée et les reçoit régulièrement dès les années 1890, ce qui a amené certains chercheurs à suggérer que la marquise tenait un deuxième salon.

Le monde du théâtre

Chez la marquise se croisent des journalistes et critiques d’art, comme Gustave Larroumet (1852-1902), Francisque Sarcey (127-1899) et Henri Harduin (18..-19..), ainsi que des auteurs et directeurs de théâtre, comme Jules Claretie (1840-1913) et Anatole France (1844-1924). On y voit aussi des comédiens de renom, comme Gabrielle Réjane (1856-1920), la « reine du Boulevard », dreyfusarde affirmée, Coquelin l’Aîné (1841-1909), le premier interprète de Cyrano de Bergerac, et son fils Jean Coquelin (1865-1944). Tous sont proches de la marquise et connaissent son frère, Georges Peyrat.

Lettre de Gustave Larroumet à la marquise, 28 décembre 1897, MSVC 279 F. 4158.

Dans une lettre, Gustave Larroumet évoque une invitation qu’il a reçue de Georges Peyrat : il y mentionne « l’Oncle », désignant sans doute Francisque Sarcey, et « La Divine », qui désigne probablement Réjane.

« Je reçois de George un mot [funambulesque] et cordial pour me dire que nous devons, l’Oncle, la Divine et moi, être guillotinés chez vous le mercredi 5 janvier. Cette mort résurrectionnelle me sera infiniment douce, car je vous aime tant et vous vois si peu ! Donc, au 5 janvier et, en attendant que je vous les renouvelle con baccio [sic, con bacio avec la bise] sur les deux joues, charmante amie, recevez ici les meilleurs souhaits de votre tout affectionné

Gustavio Larroumetti »

Les lettres de Coquelin l’Aîné, à la marquise témoignent des adresses affectueuses que le comédien lui envoie. La signature « Votre Coq » couronne le ton chaleureux et amical. Ces lettres mentionnent également un certain nombre d’amis ou de connaissances communes, tels que Spuller, Sarcey et Larroumet.

La marquise Arconati-Visconti, assise, costumée dans un fauteuil près d'un lit à baldaquin, Musée d'Orsay

Les collections d'art

La marquise se rapproche de décorateurs et de collectionneurs d’art lorsqu’elle fait rénover, à la fin des années 1880, son château de Gaasbeek où se mêlent styles médiéval, néoromantique et néo-Renaissance. En 1888, elle fera ainsi appel à Edmond Bonnaffé (1825-1903), auteur d’une histoire du meuble en France au XVIe siècle, pour des conseils de décoration, des informations sur les devises utilisées dans le décor des demeures de la Renaissance, et des suggestions de maisons d’artisans.

Lettre d'Edmond Bonnaffé, 11 juin 1888,
MSVC 263 F. 187-188.
Lettre d'Edmond Bonnaffé, [1888],
MSVC 263 F. 189.
La marquise Arconati-Visconti et Raoul Duseigneur sur le perron du château de Gaasbeek Musée d'Orsay

Le conservateur du musée de Cluny, Émile Molinier (1857-1906), semble avoir inspiré à la marquise, qui suit ses cours à l’École du Louvre, son goût pour la collection. A partir de 1892, la marquise prend part à de grandes ventes d’objets d’art pour constituer une collection d’art du Moyen Âge européen, quelquefois élargie aux arts orientaux. Celle-ci prendra par la suite plus d’ampleur sous l’influence de Raoul Duseigneur (1845-1916), collectionneur et spécialiste d’histoire des arts ibériques. La marquise le rencontre vers 1891, sans doute à l’occasion de la vente Spitzer et par l’intermédiaire d’une connaissance commune, probablement Émile Molinier. Ils se voient ensuite régulièrement et partent souvent en voyage ensemble. Il devient son compagnon et a sa propre chambre à Gaasbeek.

Lettre de la marquise à Lucien Poincaré, [1919], MS 1940 F. 24-25.

Vers 1919, la marquise explique au recteur de l’Université de Paris, Lucien Poincaré (1862-1920), que Duseigneur est l’âme des collections qu’elle a données au Louvre.

« Parlons de notre Institut [d’Art et d’Archéologie]. Je n’ai pas besoin de vous dire que c’est la chose à laquelle je m’intéresse le plus, puisque je le fonde en souvenir de celui qui incarnait l’Art, en souvenir de celui qui a fait – je n’y suis pour rien – la belle collection que j’ai donnée au Louvre. »

Des accointances dans les musées

Les personnels des musées, souvent d’anciens chartistes, rejoignent les cercles de la marquise après 1891, date de son premier don d’objets d’art. Gustave Larroumet, alors fonctionnaire à la direction des Beaux-Arts du ministère de l’Instruction publique, est l’intermédiaire entre la marquise et le directeur des Musées nationaux, Albert Kaempfer (1826-1907). Dès lors, un petit groupe d’amateurs et de spécialistes se regroupe fréquemment chez la marquise : Gaston Migeon (1861-1930), Jean Guiffrey (1870-1952), Paul-Franz Marcou (1860-1932), Paul Leprieur (1860-1918), Paul Vitry (1872-1941), Carle Dreyfus (1875-1952) et son père Gustave (1837-1914), parmi d’autres.

Les relations culturelles de la marquise s’élargissent et se diversifient au fur et à mesure que croît son mécénat en faveur du patrimoine. La marquise correspond ainsi avec Henri Focillon (1881-1943), conservateur et enseignant en histoire de l’art à Lyon, mais aussi avec les architectes de l’Université de Paris, Henri-Paul Nénot (1853-1934) et Paul Bigot (1870-1942).

Jean Guiffrey (1870-1952)


Jean Guiffrey, fils d’un historien de l’art et diplômé de l’École du Louvre, obtient un congé du Louvre pour devenir, de 1911 à 1914, conservateur des peintures du musée des Beaux-Arts de Boston. Il est ensuite chargé de différentes missions aux États-Unis et en Extrême-Orient, avant de revenir au Louvre en 1918 en tant que conservateur du département des peintures du musée, poste qu’il conserve jusqu'en 1934. Il connaît alors déjà la marquise et correspond avec elle d’outre-Atlantique. Sa correspondance est amicale, riche d’anecdotes sur les musées et leurs connaissances communes. Dans une lettre de 1914, Guiffrey annonce que sa mission au musée de Boston s’achève bientôt et fait part de ses angoisses quant à son retour à Paris. À la fin de sa vie, témoignage de leur amitié, la marquise le choisit comme l’un de ses exécuteurs testamentaires.

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Lettre de Jean Guiffrey à la marquise, 31 janvier 1914,
MSVC 278 F. 3696-3697.
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Lettre de Jean Guiffrey à la marquise, 31 janvier 1914,
MSVC 278 F. 3696-3697.
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Lettre de Jean Guiffrey à la marquise, 31 janvier 1914,
MSVC 278 F. 3696-3697.
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Lettre de Jean Guiffrey à la marquise, 31 janvier 1914,
MSVC 278 F. 3696-3697.