Histoire d'une
correspondance
Une figure
singulière

Le mécénat comme engagement

Le patrimoine

Le mécénat de la marquise Arconati-Visconti en faveur du patrimoine s’est concentré en France. C’est à Paris que se situent la plupart des musées bénéficiant de ses dons et legs : le Louvre, le Luxembourg, Cluny, Carnavalet et les Arts Décoratifs.

La province n’est représentée que par le musée de la ville de Lyon et le musée de l’ancien évêché d’Angers. Ces deux institutions ont bénéficié de dons d’objets en mémoire de Raoul Duseigneur, mort en 1916.

Des collections inspirées par son goût pour l’histoire

La marquise Arconati-Visconti a probablement commencé à collectionner des objets d’art au début des années 1890, date qui concorde avec ses premières donations d’objets, acquis dans des ventes, et avec sa rencontre avec Raoul Duseigneur. Auparavant, elle avait entrepris de décorer, à la manière d’un musée privé, son hôtel de la rue-Barbet-de-Jouy, ainsi que son château de Gaasbeek, dans un goût médiéval et persan.

Lettre de Maximilien de Robespierre, 3 novembre 1793, Musée Carnavalet.
Portrait d'Honoré-Gabriel Riquetti, comte de Mirabeau, 1791, Musée Carnavalet.

La composition de ses collections est assez homogène. Le Moyen Âge et le XVIe siècle y tiennent une place prépondérante : meubles, vitraux, tapisseries, sculptures, peintures ou croquis, médailles et autres « bibelots ». L’art oriental est aussi représenté, qu’il soit islamique ou d’Extrême-Orient.

La marquise possède des objets et des archives d’histoire contemporaine. Elle donne au musée Carnavalet au moins seize objets de la période révolutionnaire (des affiches, des monnaies, un buste de Mirabeau, une lettre de Robespierre…) et un pastel de Henri Gabriel Ibels se rapportant à l’affaire Dreyfus.

La Collection au Louvre (1914-1919)

Catalogue de la Collection Arconati Visconti : peintures et dessins, sculptures et objets d’art du Moyen-Âge et de la Renaissance, Paris, Hachette, 1917. INHA.

En 1914, la marquise donne au musée du Louvre une collection d’art médiéval et de la Renaissance, afin d’y ouvrir une « Salle Arconati-Visconti ». Cependant, la Grande Guerre ralentit les travaux d’aménagement, de sorte que l’ensemble fut enrichi, en 1916, d’une collection analogue de Raoul Duseigneur.

Lettre de Paul Bigot à la marquise, 22 juillet [1921], MSVC 263 F. 178.

La salle est inaugurée à la fin des conflits, le 14 avril 1919. Le catalogue de la collection est réalisé pendant la guerre par quatre conservateurs au Louvre, dont trois échangeaient régulièrement avec la mécène.

Deux ans plus tard, Paul Bigot (1870-1942), lauréat du concours organisé pour choisir l’architecte de l’Institut d’Art et d’Archéologie, fondé par la marquise, visite au Louvre la collection de la mécène qui jouxte alors celle d’Adolphe Thiers (1797-1877), et lui écrit.

« Madame,
J'ai reçu le catalogue de votre superbe collection et je suis allé au Louvre.
En sortant de la collection Thiers, terriblement bourgeoise, on est saisi par le goût artistique qui a présidé à la formation de la vôtre. On se demande ce qu'il faut admirer le plus, ou des magnifiques œuvres elles-mêmes, ou de la patriotique abnégation avec laquelle, après avoir pris tant de peine à les rassembler, vous en abandonnez la jouissance au peuple français. »


Le don et legs au musée des Arts Décoratifs

Entre 1893 et 1923, le musée des Arts Décoratifs enregistre un total de plus de 240 dons de la part de la marquise, ce qui atteste d’un rapport privilégié à cette institution. En 1916, signalons le don d’une cinquantaine de bijoux anciens et modernes qui étaient portés par la marquise et qui reflètent ses goûts et son attrait pour la Renaissance et les arts asiatiques. Dans cette collection, les œuvre de deux joailliers se démarquent : celles de Lucien Falize (1839-1897) et de René Lalique (1860-1945). En 1918, le musée ouvre une salle en l’honneur de Raoul Duseigneur. Dans le testament de la marquise, il se voit léguer objets et bijoux intimes (alliances du mariage avec le marquis, médaillon renfermant une photographie de Raoul Duseigneur...).

Plaque de collier de chien. René Lalique, Musée des Arts Décoratifs, ©Paris, MAD / Jean Tholance
Agrafe. Chine, XVIIIe siècle,
Musée des Arts Décoratifs,
©Paris, MAD / Jean Tholance
Bracelet. Lucien Falize,
Musée des Arts Décoratifs,
©Paris, MAD / Jean Tholance

Le cas du Château de Gaasbeek (1911-1921)

En 1921, la marquise Arconati-Visconti fait don de son château et des collections qui s’y trouvent à l’État belge. Cette immense donation était en projet depuis 1911, d’après une lettre de Franz Cumont, qui a joué un rôle important. L’historien accepte de servir de relais auprès des autorités belges et fait part de l’idée de la donation au baron Eugène Beyens (1855-1934), diplomate, qui est alors ministre de la Maison du Roi et fait le lien avec le Conseil des Ministres. Les « généreuses intentions » de la marquise sont accueillies avec gratitude. La donation devait se faire « sous la réserve de la jouissance viagère au profit de la donatrice du château et du domaine de Gaesbeck avec leurs collections, meubles et dépendances ».

Lettre de Franz Cumont à la marquise, MSVC 267 F. 1219-1220.

En 1912, la marquise se demande si l’Université de Bruxelles serait désireuse de recevoir son château. Cumont l’en dissuade, car l’institution n’aurait pas eu les moyens de l’entretenir, tout comme l’Académie royale.

« Seul l'Etat assurerait la conservation de Gaesbeck d'une manière digne de sa beauté, de son importance archéologique, et des richesses qu'il renferme. Ni les "Bâtiments civils", ni la direction des Beaux-Arts certainement, ne reculeraient devant les frais nécessaires à l'entretien de ce château historique et de son parc. »
Lettre de Franz Cumont à la marquise, 12 juillet 1912. MSVC 267 F. 1313-1316.

En 1916, la marquise admire la résistance du roi Albert Ier (1875-1934) face à l’occupation allemande et souhaite lui donner son château. Le baron Beyens fait la démarche auprès du roi comme en témoigne une lettre du fonds, mais celui-ci refuse le don.

C’est finalement en 1921, avec l’aide de Cumont et de Jules (1864-1931) et Laure (1872-1956) Lorthioir, des amis de Bruxelles, que la marquise fait déplacer du château les papiers de son père, l’argenterie et les objets et meubles contemporains, pour ne laisser que les décors médiévaux et Renaissance.

Henri Focillon (1881-1943)


Le mécénat de la marquise pour le patrimoine la rapproche, entre autres, d’Henri Focillon, qui lui fait des suggestions de donations pour le développement de l’histoire de l’art en France. Focillon est historien de l’art, conservateur au musée de la Ville de Lyon et enseigne à l’Université et à l’École des Beaux-Arts de Lyon. Il est en charge de la mise en place de la collection Raoul Duseigneur cédée par la marquise en 1916. C’est ainsi que Focillon entretient une correspondance amicale avec la mécène, dont il admire la générosité, le « sens historique et la sûreté [du] goût » . Il est l’un de ses intermédiaires pour la fondation du prix « Raoul Duseigneur » soutenant les études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’Université de Lyon. Lorsque l’historien de l’art Émile Bertaux (1869-1917), son ami et collègue, tombe sur le front en 1917, Focillon suggère à la marquise d’acquérir la bibliothèque du défunt pour en faire don à la faculté des Lettres de Lyon.