Histoire d'une
correspondance
Une figure
singulière

Histoire d'une correspondance

Confié par la marquise Arconati-Visconti à son exécuteur testamentaire puis donné à l'Université de Paris, ce fonds est désormais numérisé et disponible sur NuBIS. Découvrez la richesse de cette correspondance à la fois officielle et personnelle, source remarquable pour l'étude de la société de la IIIe République.

Trois volumes du fonds de correspondance de la marquise Arconati-Visconti.

Un don remarquable

Dans son testament, la marquise écrit : « M. Lanson aura seul le droit de toucher aux papiers qui sont chez moi. Il sera seul juge de ce qui pourrait être conservé. » (AN, MC/ET/XXXIV/1699).

Lettre à M. Hitte, Archives Administratives, AAM192 F. 6540.

Ce n’est qu’à la mort de Gustave Lanson (1857-1934), directeur de l’ENS à partir de 1919 et l’un des exécuteurs testamentaires de la marquise Arconati-Visconti, que sa veuve se charge de déposer une partie des lettres et papiers confiés à son mari par la marquise, comme l’atteste l’accusé de réception du recteur, en 1935, à la Bibliothèque Victor Cousin, dont les fonds sont rattachés à la Bibliothèque de la Sorbonne en 1978.

Quatre ans plus tard, le fonds est catalogué par Jean Bonnerot puis en 1941, la correspondance est intégralement montée sur onglet et reliée dans 38 volumes. Dans les archives administratives de la Bibliothèque de la Sorbonne, une lettre détaille les dépenses liées à la reliure du fonds par « Mme Stempfer, rue Jean de Beauvais, en juillet-août 1941 ».

En 2019, un inventaire à la pièce est réalisé, venant enrichir les notices par correspondant déjà existantes sur Calames.

Soixante-dix années de correspondance

Marie Louise Jeanne Peyrat (1840-1923), marquise Arconati-Visconti, connue pour son activité de mécène et de salonnière, a entretenu une correspondance qui éclaire par sa richesse la société culturelle et politique de la IIIe République. Ministres, députés, sénateurs, historiens, archéologues, artistes, conservateurs de musées et de bibliothèques, recteurs et professeurs correspondent avec Marie Arconati-Visconti, certains sur une durée longue et avec une grande régularité.

La correspondance passive conservée dans le fonds de la BIS s’étend de 1852 à 1881 pour les lettres destinées à Alphonse Peyrat (1812-1890) qui sont reliées au sein du volume MSVC 299, et de 1867 à 1923, date de son décès, pour les lettres destinées à la marquise. On compte dans les volumes un total de 5 901 pièces dont 3 661 sont datées et 4 035 comportent un lieu d’expédition.

Les correspondants de la marquise sont tous européens, souvent français, belges ou italiens. La plupart des lettres proviennent de ces trois pays. Beaucoup sont expédiées depuis la Suisse, lieu de villégiature de nombre de ces personnalités. Toutefois, certains correspondants voyagent ou travaillent à l’étranger et certaines lettres arrivent du monde entier, des États-Unis au Japon.

Carte de visite de Léon Gambetta à la marquise, MSVC 277 F. 3573.

Notons que la marquise savait lire et écrire l’italien, si bien que ses correspondants francophones, Léon Gambetta (1838-1882) notamment, parsemaient parfois leurs lettres de termes italiens et de citations littéraires, voire signaient de leur nom italianisé.

La correspondance, exclusivement passive, comprend des lettres, des cartes, des télégrammes, des pneumatiques, ou encore des coupures de presse. Chacune des pièces a été foliotée.


La petite et la grande histoire

La marquise ne gardant presque jamais de copie des lettres qu’elle envoyait, les lettres conservées donnent à lire un échange, mais seulement pour moitié : elles engagent un dialogue ou l’achèvent, sont un écho à un précédent courrier ou invitent à une réponse. L’absence de lettres familiales dans le fonds, pourtant mentionnées dans certaines lettres et dans le dossier de succession de l’Université de Paris, d’échanges avec Raoul Duseigneur (1845-1916), compagnon de la marquise à la fin de sa vie, ou encore avec Gustave Lanson, son exécuteur testamentaire, dont on conserve pourtant une lettre adressée à la marquise à la Bibliothèque nationale, sont par ailleurs autant d’indices qu’il y eut d’autres lettres et que le fonds conservé à la BIS est partiel.

Les lettres permettent néanmoins de pénétrer dans l’intimité des deux correspondants, et parfois au-delà, par les demandes de nouvelles d’amis communs, la transmission d’un courrier d’un proche ou la mention d’une personne de leur entourage. Doté de traits d’oralité, le style rédactionnel des courriers non officiels témoigne du niveau d’amitié et de proximité entre les correspondants. Les émotions transmises à travers la graphie tout comme les expressions utilisées sont des indicateurs forts de la nature des liens entre les protagonistes.

Les contenus sont denses. Dans les courriers s’enchevêtrent considérations politiques, commentaires sur l’actualité, récits de voyage, anecdotes de travail, nouvelles de santé et de famille, prise de rendez-vous, mondanités et remerciements.

Le 23 octobre 1905, la marquise reçoit de Pierre Champion (1880-1942), fils du gérant de la librairie et des éditions H. Champion, une lettre tout à fait représentative de cet enchevêtrement. Le jeune chartiste fraîchement diplômé y remercie la marquise de l’envoi « des articles de Roujon » qu’il est ravi de recevoir, évoque Gabriel Monod (1844-1912), transmet les amitiés de Marguerite Moreno (1871-1948), actrice et récemment veuve de Marcel Schwob (1867-1905), puis détaille les prémices de la vente aux enchères de la bibliothèque de Schwob, vente importante dans le milieu du livre ayant donné lieu à un célèbre catalogue. Il évoque les inimitiés de « M. Delisle (qui ne porte pas Longnon dans son cœur) ». La missive se clôt par un changement de plume, le père de Pierre Champion remerciant la marquise de leur avoir envoyé un « lièvre délicieux et tiré avec une délicatesse parfaite ».

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Lettre de Pierre Champion à la marquise Arconati-Visconti, 1905, MSVC 263 F. 367-370.
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Lettre de Pierre Champion à la marquise Arconati-Visconti, 1905, MSVC 263 F. 367-370.
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Lettre de Pierre Champion à la marquise Arconati-Visconti, 1905, MSVC 263 F. 367-370.
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Lettre de Pierre Champion à la marquise Arconati-Visconti, 1905, MSVC 263 F. 367-370.
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Lettre de Pierre Champion à la marquise Arconati-Visconti, 1905, MSVC 263 F. 367-370.
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Lettre de Pierre Champion à la marquise Arconati-Visconti, 1905, MSVC 263 F. 367-370.
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Lettre de Pierre Champion à la marquise Arconati-Visconti, 1905, MSVC 263 F. 367-370.
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Lettre de Pierre Champion à la marquise Arconati-Visconti, 1905, MSVC 263 F. 367-370.

Si la correspondance est souvent centrée sur la vie quotidienne, elle offre aussi des témoignages, que la qualité des correspondants rend précieux, sur des sujets d’actualité devenus objets d’histoire. L’affaire Dreyfus, la crise moderniste, la candidature d’Alfred Loisy (1857-1940) au Collège de France entre 1908 et 1909, l’affaire Franz Cumont (1868-1947) à l’Université de Gand en 1910 , la Révolution Russe et la Grande Guerre, pour ne citer que les plus marquants, sont autant de sujets faisant de ce fonds une source historique remarquable qui reste encore largement à exploiter.