Le manuscrit 1595

La traduction manuscrite des Métamorphoses

Ovidius Méthamorfoseos, fol. 1r, MS 1595.

Si nous pouvons aujourd’hui lire Les Métamorphoses d’Ovide dans le texte latin, nous ne pouvons bien sûr pas accéder aux manuscrits originaux du Ier siècle de notre ère écrits par Ovide lui-même, ou plutôt par les esclaves à qui il dicta son œuvre. Les plus anciens manuscrits à peu près complets des Métamorphoses dont nous disposons remontent au XIe siècle. Certains présentent des variantes qui permettent de les ranger par familles. Le manuscrit conservé à la BIS date, quant à lui, du XVe siècle et provient sans doute d’Italie du Nord. S’il présente quelques variantes textuelles qui ne correspondent pas à la leçon retenue par les éditions scientifiques modernes, l’ancienneté ici ne saurait faire autorité. Au XVe siècle, les plus anciens manuscrits d’Ovide ont été déjà maintes fois recopiés, parfois des corrections ont été apportées : nombre de contaminations avaient eu lieu.

Ce manuscrit a été acheté par la Bibliothèque de la Sorbonne en 1923 auprès de la Librairie Champion pour la somme de 900 francs. Il a été successivement collationné par plusieurs conservateurs de la bibliothèque, et très récemment décrit par Thomas Falmagne, expert en codicologie et membre de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes.

Des mains et des marges

Plusieurs scribes se sont relayés dans l’écriture de ce manuscrit composé de vingt cahiers reliés entre eux. Il est incomplet, s’achevant au vers 348 du livre XV. Un premier scribe a écrit les neuf premiers cahiers, un second les cahiers 9 à 11 sauf quelques pages, et trois à cinq scribes ont alterné leur transcription pour le reste. C’est en se fondant sur le filigrane des différents papiers utilisés et sur la graphie du premier scribe, qui présente des traits italiens et humanistiques, qu’on peut proposer une datation et un lieu d’origine à ce manuscrit.

1er scribe, fol. 1v, MS 1595.
2ème scribe, fol. 99r, MS 1595.

Les marges laissées en blanc étaient destinées aux gloses, mais elles sont aussi parfois investies par des corrections ou des rajouts dus à des omissions lorsque celles-ci sont trop importantes pour se placer entre les lignes ; ou bien elles accueillent des signes ayant vocation à attirer l’attention. Il semble que les corrections aient été pratiquées par les scribes en charge du cahier concerné, mais vers la fin de l’ouvrage c’est une même main qui apporte toutes les corrections, en cursive.

Corrections au début du livre X, fol. 198v, MS 1595.

Un accident de reliure très... ovidien ?

Réclame illustrée, fol. 199v, MS 1595.

À la fin de chaque cahier, un mot apparaît en bas de page. Il s’agit de la réclame, premier mot du cahier suivant qui doit rapidement permettre la reliure dans le bon ordre des différents cahiers entre eux. Ces réclames sont parfois décorées.


Malgré les réclames, certains cahiers n’ont pas été reliés à la bonne place. Ainsi le mot réclame « Claudit » intervient en plein récit de l’histoire d’Io : transformée en une magnifique génisse, elle est gardée par Argus qui l’enferme (« claudit ») la nuit. Or, ici précisément, une erreur de reliure nous fait directement passer, au-delà du mythe de Phaéton, à la fin de l’histoire de Callisto. Ce n’est que plus tard que notre manuscrit réintègre la suite du mythe d’Io. Il est plaisant de constater que cet accident de reliure peut prendre sens si on le lit à la manière ovidienne : le poète latin était en effet féru de jeux allusifs intégrant, au sein du texte poétique, la dimension physique du support de l’écriture, en l’occurrence pour lui des uolumina, des rouleaux de papyrus.


Claudit à la fin du second livre, fol. 12v, MS 1595.

C’est ainsi qu’à la fin du second livre de l’œuvre, Europe emportée par le taureau tient dans sa main la « corne » de l’animal, comme le lecteur antique tenait en ses mains, au même moment, la « corne » ornant l’ombilic du rouleau de papyrus précisément parce qu’il arrivait à la fin du livre. Ici, ce n’est plus un taureau qui menace de nous faire sortir du livre, mais la génisse Io qui, suite à cette erreur de reliure, semble avoir été « enfermée » dans les limites de ce cahier qui clôt abruptement l’épisode. Certes, on n’oublie pas que cet effet de sens, pour le lecteur habitué à la virtuosité des jeux ovidiens du moins, est créé par une erreur de reliure ; mais n’est-ce pas le charme puissant de cet auteur que de parvenir à nous faire douter ainsi des frontières entre accident matériel et effet littéraire ?


Un manuscrit scolaire

Bien que le manuscrit de la BIS présente quelques éléments de décorations, quelques lettres rubriquées ; mais beaucoup sont laissées en blanc et le manuscrit n’est pas fini. Il s’agit donc d’un manuscrit sobre destiné à un usage scolaire. À côté des Ovide moralisé qui assuraient quant à eux une translation culturelle de l’œuvre ovidienne mais sans se soucier de transmettre le texte latin lui-même, ce manuscrit montre qu’il y avait bien aussi une tradition de transmission matérielle et linguistique des Métamorphoses.