Traductions en tous genres

Métamorphose médiévale

Le Grand Olympe des histoires poëtiques, feuillet 14v, 1537, RXVI 1178.

Quand on considère la transmission et la réception de l’œuvre d’Ovide sur le long terme, on est tout spécialement amené à élargir ce qu’on entend par « traductions ». Il ne s’agit pas seulement de distinguer entre les traductions dont l’enjeu et le mérite se situent du côté de la langue et du texte d’arrivée (target-oriented) et celles dont l’objectif est de restituer le plus précisément possible la langue et le texte de départ (source-oriented). Certaines œuvres ont un abord et un contenu vraiment très différents du poème d’Ovide, telles les mises en prose, souvent moralisées, héritées du Moyen Âge. Le titre même de certains ouvrages n’indique pas immédiatement leur lien avec Ovide, alors même qu’ils ont été un des modes majeurs de sa diffusion au XVe siècle et encore au suivant : il s’agit en particulier de la Bible des poëtes (1493, A. Vérard) et du Grand Olympe des histoires poëtiques (1532, R. Morin, avec des serpents géorgiques virgiliens pour illustrer le meurtre du serpent Python par Apollon !).

Cette version en prose des Métamorphoses a été un ouvrage très populaire. Il fut publié pour la première fois à Lyon en 1532. Il reprend les « fables » présentes dans la Bible des poëtes mais s’en distingue par plusieurs traits, le plus important étant l’omission des allégories : le Grand Olympe marque une étape dans l’histoire de la lecture des textes antiques, auxquels on commence à redonner une valeur propre, non tributaire d’un sens caché que des savants doivent déceler.

Le Grand Olympe des histoires poëtiques, feuillet 25r, 1537, RXVI 1178.

Les illustrations sont nombreuses et intéressantes dans l’ouvrage, mais elles servent surtout à orner le livre plutôt qu’à éclairer ou compléter le texte : ainsi, nombre de gravures utilisées en lien avec ces « fables » d’Ovide sont des illustrations des œuvres de Virgile. Sur le feuillet 25r, en rapport avec le deuil suscité par la mort de Phaéton, tout d’abord en la personne de sa mère, l’illustration choisie provient d’un des passages les plus émouvants de l’Énéide, dans lequel Andromaque, dans la ville d’Épire où elle vit désormais, voit arriver le héros Énée, rescapé de la destruction de Troie, et se demande un temps, à la pensée de son époux défunt, Hector, s’il est vivant ou mort : sur la gravure, la présence d’un jeune enfant de l’autre côté du cercueil auprès duquel elle se trouve fait porter l’accent sur son deuil de mère. Il s’agit sans doute du fils d’Énée, Ascagne, qui ravive le souvenir du fils d’Andromaque tué par les Grecs, Astyanax. Même si l’épisode est différent – les noms l’indiquent visiblement –, l’image n’est donc pas tout à fait sans lien avec le texte.


Ces titres consacrent le statut des Métamorphoses comme répertoire mythologique de référence ; à ce propos, on parlera ensuite d’elles comme formant aussi une « bible » pour les peintres et autres artistes.

Pâris et les abeilles s’invitent dans les Métamorphoses

Entre autres traits frappants de ces versions, la suppression et l’ajout d’épisodes complets sont remarquables. Certains de ces ajouts auront d’ailleurs la vie longue, sinon dure, comme celui de toute l’histoire du Jugement de Pâris. Celle-ci, qui ne se trouve pas dans les Métamorphoses d’Ovide, réapparaît pourtant, comme si elle en faisait partie, dans différentes œuvres artistiques ultérieures. Elle est notamment intégrée à l’édition d’une traduction qui fait date et est réimprimée de nombreuses fois au cours du XVIIe siècle. La Bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne possède plusieurs éditions de cette œuvre, due à Nicolas Renouard. La plus ancienne conservée au sein de ses collections est celle de 1619 parue chez la Veuve Langelier, sous le titre : Les metamorphoses d'Ovide traduites en prose françoise, et de nouveau soigneusement reveuës, corrigees en infinis endroits, et enrichies de figures à chacune fable. Avec XV. discours contenans l'explication morale et historique. De plus outre le Jugement de Paris, augmentees de la Metamorphose des abeilles, traduite de Virgile, de quelques Epistres d'Ovide, et autres divers traitez..

Page de titre du Jugement de Pâris, édition de 1650 chez la Coste, LLP 6= 224.
La traduction y domine, mais le commentaire n’y est pas oublié (les « XV discours »). Le Jugement de Pâris ouvre la série des textes par lesquels cet auteur a encore agrandi, enrichi la fama (la renommée, mais aussi la parole poétique) d’Ovide : outre cet épisode (r)ajouté, conçu par Renouard comme une « imitation » écrite en une sorte de prose poétique, figure une autre traduction, mais de Virgile. Est-il alors suggéré que, quand il relatait une métamorphose aussi radicale que la renaissance des abeilles à la fin de la IVe Géorgique, il y avait en lui de l’Ovide ?

Les Héroïdes (« quelques Epistres ») s’ajoutent enfin aux Métamorphoses avec une grande proximité, dans ce cas également, entre traduction et création par imitation : une lettre (inventée) d’Octavie à Marc Antoine fait suite à trois épîtres réellement composées par Ovide.

Épigrammes ovidiennes

Si plusieurs types de traductions des Métamorphoses en sont ainsi venus, au fil des siècles, à repousser les limites de ce texte et en accroître potentiellement la taille, les choix faits par d’autres artistes impliquaient davantage une sélection et une réduction : que l’on pense aux Ovide illustrés qui ont joui d’un grand succès, spécialement dans la deuxième moitié du XVIe siècle. Véritables traductions en images du poème ovidien, quand ces livres comportaient néanmoins une part de texte, c’était souvent sous la forme de poèmes courts, des épigrammes.

Gabriele Simeoni, La Vita et Metamorfoseo d’Ovidio, 1584, p. 110-111 (histoire de Scylla, fille de Nisus), RRA 6= 42.

Si travaillées fussent-elles, celles-ci pouvaient difficilement condenser en huit vers toutes les étapes d’une histoire, dont elles étaient plutôt chargées de saisir l’essentiel. Certains auteurs firent plutôt le choix de s’en tenir à l’image à laquelle leurs textes restaient bel et bien subordonnés : dans une œuvre comme La Vita et Metamorfoseo d’Ovidio (1584, 1591), les illustrations de Bernard Salomon, reprises pour être diffusées auprès du public italien, restent ainsi la forme de traduction dominante. Mais si, en écrivant les huitains italiens de cette édition, Gabriele Simeoni s’est appliqué à suivre de près le contenu des gravures, il a néanmoins aussi œuvré en tant que traducteur.

Il lui a d’abord fallu se situer par rapport aux auteurs d’autres « versions », qui avaient été très appréciées, comme Giovanni dell’Anguillara. Comme l’a montré Susanna Gambino-Longo, Simeoni l’a fait en particulier en revendiquant son attachement à la culture toscane et en privilégiant des termes qui la représenteraient.

Giovanni dell’Anguillara, page de titre, Le metamorfosi di Ovidio, 1571, RRA 8= 345.
Giovanni dell’Anguillara, première page, Le metamorfosi di Ovidio, 1571, RRA 8= 345.

Promouvoir la langue classique avec Ovide

Au XVIIe siècle, la traduction doit être envisagée quelque peu différemment même s’il est toujours question d’un transfert culturel sur le texte ovidien. En effet, la fondation de l’Académie Française en 1634 institutionnalise la langue française. Les académiciens établissent des règles précises quant à son bon usage ainsi que des critères de beauté littéraire que les hommes de lettres sont invités à suivre. Dans les traductions des Métamorphoses d’Ovide, cela se manifeste de deux manières.

Thomas Corneille, d’une part, dans la préface de son œuvre publiée en 1669, mène une réflexion sur sa pratique de traducteur et évoque à la fois les traits de style du texte ovidien qui n’ont pas « la mesme grâce dans notre Poësie que dans la Latine », à l’instar des comparaisons de type homérique et les termes qui ont leur place dans la poésie latine mais pas dans la nôtre tels que « Canis, Lepus, Iuuenca Vitulus ». L’ensemble de sa traduction a ainsi pour but de mettre en valeur la langue française et le choix de l’alexandrin, vers français par excellence pour ce siècle, pour rendre l’hexamètre dactylique, participe de cette même intention.

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Les metamorphoses d'Ovide, traduites en vers françois par T. Corneille, Paris, Claude Barbin, 1669, RRA 6= 587, p. 108.
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Les metamorphoses d'Ovide, traduites en vers françois par T. Corneille, Paris, Claude Barbin, 1669, RRA 6= 587, p. 109.
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Les metamorphoses d'Ovide, traduites en vers françois par T. Corneille, Paris, Claude Barbin, 1669, RRA 6= 587, p. 110.
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Les metamorphoses d'Ovide, traduites en vers françois par T. Corneille, Paris, Claude Barbin, 1669, RRA 6= 587, p. 111.

En 1669, Thomas Corneille, déjà auteur de nombreuses pièces de théâtre, se prête à un nouvel exercice avec sa traduction des deux premiers livres des Métamorphoses d’Ovide en vers françois. C’est l’alexandrin que le traducteur choisit pour imiter la majesté de l’hexamètre dactylique et rendre l’idée du carmen perpetuum ovidien par des vers suivis. L’intérêt de ce petit ouvrage réside dans la réflexion que l’auteur mène dans la préface sur sa pratique de traducteur : il avoue, d’une part, l’ajout de quelques vers (jusqu’à douze !) pour expliquer, exemples à l’appui, des passages qu’il a jugés trop obscurs en particulier pour les femmes. Ces dernières constituent en effet son lectorat privilégié car elles ont rarement accès, faute d’éducation, aux textes classiques en langue originale.

Corneille évoque, d’autre part, l’impossibilité de rendre les élégances de la langue latine en français, ce qui le conduit à supprimer certains passages. Il choisit également d’édulcorer quelques formules qui lui semblent de mauvais goût. Il privilégie ainsi, au prix du texte de départ, ce qui lui apparait comme le génie de la langue française. Encouragé par ses pairs, il publie en 1670 et 1672 la traduction des livres 3 et 4 puis 5 et 6 mais ne poursuit pas son entreprise au-delà. Il s’attaque parallèlement à ce travail à des passages de l’Art d’aimer, des Remèdes à l’amour et des Héroïdes dans ses Pièces choisies d’Ovide publiées en 1670.


Les Métamorphoses en guirlandes

En 1676, Isaac de Benserade compose, d’autre part, une œuvre qui ne se présente pas comme une traduction – le terme n’est jamais employé – mais comme une adaptation de la fable ovidienne. Il choisit ainsi le rondeau, forme poétique toute française, qui le contraint à une véritable contraction du texte : chaque poème, correspondant à un épisode des Métamorphoses, compte quinze vers dont un refrain qui commence le texte et termine chaque strophe en produisant un effet de boucle ou de « guirlande », selon le terme emprunté par Charles Le Brun dans l’explication de son frontispice qu’il adresse à Benserade.

Cette gravure est intéressante en ce qu’elle illustre parfaitement le traitement que le poète fait subir à la fable ovidienne.

Frontispice par Charles Le Brun, Isaac de Benserade, Les métamorphoses d’Ovide en rondeaux, 1676, VCM 4= 12237.

Elle représente, comme habituellement, un temple antique au fronton duquel se trouve le buste d’Ovide. Au pied du temple, est représentée la Muse de Benserade (c’est Charles Le Brun qui l’indique), laquelle compose des guirlandes de fleurs, ce qui symbolise, aux dires de l’artiste, la forme circulaire du rondeau. Enfin, à la droite de la Muse, se trouve un miroir de forme concave qui brille. Le miroir « est là pour marquer que [Benserade a] renfermé dans un petit espace ce qu’il y avoit de plus beau et de plus grand dans un tout petit espace ».

Pourtant, ce miroir est avant tout déformant, ce que signale le trait qui représente la diffraction de la lumière. Il pourrait par conséquent également suggérer les modifications importantes que la forme du rondeau apporte au texte et souligner ainsi le transfert culturel imprimé sur le texte source.