Une vie aventureuse
et romanesque
Un auteur polygraphe
respecté
Un membre actif de la
République des lettres
Un homme de foi au
carrefour des religions
Un bibliophile et un
amateur de littérature

Une vie aventureuse et romanesque

Une jeunesse turbulente

Fils d’un conjuré du « Complot des poudres » exécuté en 1606, Kenelm Digby est issu d’une famille catholique de la petite noblesse du Buckinghamshire. Neveu du premier Comte de Bristol, il connaît une ascension fulgurante à la cour de Jacques Ier, mais surtout de Charles Ier, dont il devient un ami suite à leur rencontre en Espagne en 1624.

Détail d'un portrait gravé de Digby d'après Anton Van Dyck, ESTAMPES 67. Pièce 4.

Étudiant à Oxford entre 1618 et 1620, il quitte l’université sans diplôme en raison de son catholicisme. Il y est toutefois repéré par le mathématicien Thomas Allen (1542-1632), qui lui lègue sa fabuleuse collection de livres et manuscrits rares à sa mort, à charge pour lui de la léguer ensuite à la Bodleian Library. C'est ce que Digby fera, en grandes pompes, en 1634, après l’avoir enrichie de ses propres acquisitions. Ce fonds remarquable inclut entre autres les manuscrits des célèbres « pièces Digby » — un ensemble exceptionnel de pièces religieuses médiévales —, le plus ancien manuscrit connu de la « Chanson de Roland », des manuscrits d'œuvres de Geoffrey Chaucer (1343?-1400), John Gower (1300?-1408) et John Lydgate (1370?-1451?), ainsi que de rarissimes manuscrits de philosophie et de médecine (voir Macray). Digby se joindra à l'Archevêque de Cantorbéry pour faire un autre legs marquant à St. John's College (Oxford) au début de la guerre civile anglaise.

Dans les années 1620 et 1630, il mène une vie aventureuse et voyage sans relâche : il est tour à tour à Paris, où il parfait son français et est repéré par Marie de Médicis, à Madrid en 1624 avec le Prince Charles au moment où celui-ci tente, sans succès, de négocier son mariage avec l’Infante d’Espagne, corsaire en Méditerranée en 1627-1628 où il s'enrichit, puis à la cour d'Angleterre où il ne tarde pas à devenir membre du Conseil privé du Roi. En 1625, il épouse son amour de jeunesse, Venetia Stanley (1600-1633), célèbre pour sa beauté. Ils auront sept enfants, dont seul un fils lui survivra. Venetia Digby meurt subitement dans son sommeil en 1633 et Digby en sera inconsolable. Une rumeur attribue sa mort à un empoisonnement suite à l’ingestion d’une potion fabriquée pour elle par Digby dans le but de lui conserver l'éternelle jeunesse. Profondément affecté par la mort de son épouse, Digby se retire du monde pendant deux ans pour se consacrer à l’étude de la botanique et à ses recherches alchimiques à Gresham College (Londres), prototype de la Royal Society, dont il sera l’un des membres fondateurs à la Restauration, avant de quitter l'Angleterre pour la France.

Gravure de Digby d'après un portrait d'Anton Van Dyck, ESTAMPES 67. Pièce 4.

Cette gravure au burin, réalisée d’après un tableau d'Anton Van Dyck (1599-1641) conservé au Musée maritime de Greenwich, est due à Robert Van Voerst (1597-1635?). Elle s’inscrit dans la série des Icones principum virorum, entreprise éditoriale dirigée par Van Dyck, au milieu des années 1630.

Le portrait dépeint un Digby théâtralement mélancolique, ainsi qu'en témoignent la barbe négligée et le manteau noir, allusion au deuil suite à la mort brutale de Venetia en mai 1633 dont Digby restera inconsolable. Dans les années 1630, Digby figure parmi les clients réguliers de l'atelier londonien de Van Dyck, qui était devenu son ami, et le peintre, alors au faîte de sa réputation, réalisa au moins cinq portraits de Kenelm Digby seul ou avec sa famille.

Le diplomate et le voyageur

Nommé « Principal Officer » de la Marine (équivalent d'un Lieutenant-Général) par le Roi Charles Ier en 1630, il doit se convertir au protestantisme. En 1635, il se convertit à nouveau au catholicisme, discrètement, et s’exile en France, où il passera la majeure partie de son temps jusqu’en 1660, faisant de multiples allers et retours à la cour d’Angleterre et à Rome. Rentré en Angleterre en 1640, il est chargé de récolter des fonds pour financer les campagnes militaires du roi contre les rebelles révolutionnaires. Il est arrêté en 1642 par les forces parlementaires et ses propriétés, dont sa fabuleuse bibliothèque, sont confisquées par le régime de Cromwell.

Ayant recouvré la liberté en 1643, il regagne la France. En 1644, il est nommé Chancelier de la reine Henriette Marie en exil et mène, au nom du Roi, plusieurs missions diplomatiques, notamment auprès de Rome. Criblé de dettes, il invoque en 1653 l'Acte d'oubli pour rentrer en Angleterre et libérer une partie de ses biens qui avaient été mis sous séquestre. A cette occasion, il fait la paix avec le régime de Cromwell, puis retourne en France en 1656. Il est possible que les tractations avec Oliver Cromwell aient inclus une mission de renseignement, comme certains le pensent. Il rentre en Angleterre en 1660, mais sans retrouver une position éminente à la cour et se consacre alors à la philosophie. Il est l'un des membres fondateurs de la Royal Society (Philippon 41-67).

La réputation de Digby en France

Kenelm Digby est décrit par ses contemporains comme un extraverti, un affectif au tempérament fougueux. Polyglotte, il est respecté en tant qu'auteur de traités de philosophie et membre actif de la République des Lettres, correspondant avec les savants et les intellectuels de son temps. Courtisan accompli, il semble qu'il ait séduit partout où il est passé par sa stature, sa prestance et sa conversation, notamment à la cour de France. Digby s'installe à Paris à partir de 1635, tout en continuant à effectuer de longs séjours en Angleterre, du moins jusqu'à ce qu'il en soit chassé à la guerre civile.

Portrait de Guy Patin gravé en 1670 par Antoine Masson (1630-1700). CIPC0157, BIU Santé.

En France, il établit des relations avec de nombreux savants et fréquente assidument les théâtres et les salons. Il bénéficie de la considération de ses pairs. Guy Patin (1601-1672), célèbre médecin et épistolier, salue ainsi en 1650-1651 la parution en latin du texte majeur de Kenelm Digby, ses Two Treatises : 

« M. le chevalier Digby, gentilhomme anglais, catholique fort zélé, savant et curieux, avait écrit en voyageant, comme il a fait beaucoup depuis 20 ans, et principalement en Italie, un traité de l’Immortalité de l’âme en anglais ; quelqu’un l’a mis en latin et s’imprime aujourd’hui à Paris. »

Lettre à Charles Spon, le 26 juillet 1650, BIU Santé.

Digby est aussi une figure familière de la vie mondaine et courtisane parisienne. On fait partout au « Chevalier Digby » le meilleur accueil. Les mémorialistes contemporains lui attribuent plusieurs aventures amoureuses. Selon des auteurs aussi divers que Tallemant des Réaux, Madame de Montpensier et Bussy Rabutin, le « Chevalier Digby » aurait ainsi été l’amant de Madame de Chevreuse, puis de la Précieuse Madame de Châtillon dans les années 1650 (Rabutin, II: 395).

Digby fréquente aussi les spectacles. La comédie de Boisrobert, Colletet, Corneille, L'Estoile et Rotrou, intitulée La Comédie des Tuilleries (1638) lui est d'ailleurs dédiée. Dans l'épître dédicatoire, Jean Beaudouin livre un éloge appuyé de Digby, décrit comme un courtisan accompli et un érudit polyglotte. Cette œuvre, commanditée par Richelieu, ayant été représentée pour la première fois en mars 1635 devant la reine, il est peu probable que Digby ait pu y assister, puisqu’il arrive en France en septembre 1635. Toutefois, les témoignages attestant sa fréquentation des théâtres et des salons ne manquent pas.

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Page de titre, La comedie des Tuilleries. Par les cinq auteurs, BnF/Gallica. Pages suivantes : Epître dédicatoire à Digby.
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Epître dédicatoire à Digby, La comedie des Tuilleries. Par les cinq auteurs, BnF/Gallica.
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Epître dédicatoire à Digby, La comedie des Tuilleries. Par les cinq auteurs, BnF/Gallica.
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Epître dédicatoire à Digby, La comedie des Tuilleries. Par les cinq auteurs, BnF/Gallica.
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Epître dédicatoire à Digby, La comedie des Tuilleries. Par les cinq auteurs, BnF/Gallica.

A
MONSEIGNEUR
LE CHEVALIER
D'IGBY.

MONSEIGNEUR,

S'il est vray que les Livres ont leur Destin, comme les autres choses du monde, cette Comedie ne peut manquer d'en avoir un bon, puis qu'elle a l'honneur de vous estre dediée. Ayant à passer de FRANCE en ANGLETERRE, elle y sera je m'asseure, favorablement reçeuë, sous la protection de vostre Nom; & ne paroistra pas moins à WWITAL [Whitehall], qu'elle a paru dans le LOUVVRE. Déjà mesme elle reçoit de nouvelles graces entre vos mains; & soûmet à vostre à vostre Jugement la meilleure partie de son estime, puis que vous en sçavez faire une tres-juste de toutes les bonnes choses, pas une desquelles ne peut échapper à vostre connoissance. Vous en avez, MONSEIGNEUR, une tres-parfaite des plus belles Langues, principalement de la nostre, que vous entendez au denier point, & et dont vous sçavez discerner les beautez d'avec les agreemens de la Grecque & de la Latine, de l'Italienne, & de l'Espagnolle. C'est en ces Langues aussi, que vous pouvez quand il vous plaist, parler des Arts les plus nobles, & des Sciences les plus exquises; comme de la Theologie, & de la Philosophie; de la Politique, & de la Morale, de l'Histoire, & de la Fable; de l'Astrologie, & de la Geometrie; de la Navigation, & de ses diverses Routes; de la Musique, & de la Peinture; Et pour le dire en un mot, de toutes les parties de Mathematique; qui sont les unes recommandables durant la Paix, & et les autres necessaires en temps de Guerre. Ces divertissemens de l'Esprit s'accompagnent des exercices du Corps, où vostre adresse paroist merveilleuse; Et à toutes ces choses ensemble vous adjoustez les plus illustres Vertus de l'Ame, qui sont, une Probité charmante, une Franchise incomparable, & une Generosité sans exemple. Ainsi, MONSEIGNEUR, vous ne laissez rien à desirer en vous, de tout ce peut faire valoir un homme de grande naissance; Et la passion que vous avez pour les Armes, ne vous fait point negliger l'Amour des Livres, ny les Ouvrages des Muses. Elles me commandent d vous offrir celui cy, pource qu'elles sçavent bien que ce qui vient d'elles vous est toujours agreable, & que de leur divin entretien vous en faites vos plus aimables delices. Agreès donc, s'il vous plaist, que je vous le presente de leur part, & qu'à la permission qu'elles m'en donnent, j'adjouste l'honneur de me pouvoir dire,

MONSEIGNEUR,
Vostre tres-hum le, & tres-obeissant serviteur,
J. BAUDOIN.