Une vie aventureuse
et romanesque
Un auteur polygraphe
respecté
Un membre actif de la
République des lettres
Un homme de foi au
carrefour des religions
Un bibliophile et un
amateur de littérature

Un bibliophile et
un amateur de littérature

Pour Digby, l'érudition va de pair avec la bibliophilie. Il choisit ses ouvrages avec soin, pas seulement pour l'importance des textes et l'excellence des auteurs mais aussi selon des critères purement bibliophiliques : les ouvrages sont sélectionnés aussi pour leur rareté, leur prix, la richesse de leur iconographie, la qualité de leur impression ou le prestige de leurs imprimeurs ou libraires. Lorsqu'il en a le choix, il opte pour les exemplaires de luxe sur grand papier. En revanche, il ne semble pas particulièrement s'intéresser, du moins d'après ce qu'on peut déduire des exemplaires présents dans les collections françaises, aux reliures historiques : la majorité de ses ouvrages sont en effet revêtus de ses propres reliures, notamment le maroquin rouge — reliure digne d'un roi — présentant un décor dit « à la Du Seuil » avec, au centre des plats, ses armoiries, qui peuvent adopter une forme plus ou moins sophistiquée.

Type I, plat supérieur, RXVIB 3= 304.
Type II, plat supérieur, RR 4= 94.

Selon la typologie établie par Léopold Delisle, ces armes sont de quatre types (Delisle 14-15) :

  • Type I. Les armes appliquées au fer sur les plats assorties de la légende « Insigna Kenelm Digby equitatis aurati » qu'on trouve sur les livres ayant appartenu à sa bibliothèque anglaise (voir Testamentum Novum).
  • Type II. Celles à la fleur de lis épanouie au premier quartier avec écartelé surchargé d’un écusson lui-même écartelé.
  • Type III. Celles à la fleur de lis non épanouie au premier quartier, sans écusson écartelé posé sur le tout.
  • Type IV. Ou un écu portant simplement une grande fleur de lis.

    Type III, plat inférieur, RR 6= 54.
    Type IV, plat supérieur, RXVII 6= 67.

    La plupart des reliures en maroquin comportent en outre sur la tranche un décor à petits fers au centre duquel figure le chiffre de Digby monogrammé. Il se compose le plus souvent des trois lettres KVD (pour Kenelm et Venetia Digby), monogramme que Digby continue d’utiliser bien après la mort de sa femme, mais parfois simplement des deux lettres KV.

    Monogramme sur la tranche, RR 3= 12.

    Enfin, Digby est aussi un fin connaisseur des classiques de la littérature européenne, tout en étant aussi très informé des nouveautés. Il subsiste assez peu de témoins des lectures d'agrément de Digby, qui sont en langue vernaculaire, peut-être parce que"ces ouvrages ont été fondus plus facilement dans les collections privées. Il n'est pas très étonnant qu'aucune œuvre littéraire en anglais n'ait survécu dans les collections françaises, la philologie anglaise n'étant enseignée à l'Université qu'à partir de la fin du XIXe siècle.

    A titre d'exceptions notables à cette quasi-absence de témoins, on pourra mentionner trois ouvrages remarquables dont la présence témoigne des goûts littéraires de Digby, mais aussi de sa passion des beaux livres.



    épilogue

    La vie de Sir Kenelm Digby est si aventureuse et si riche en événements qu'il est impossible de la résumer, et qu'il est même parfois difficile de le suivre dans ses incessants déplacements. Il nous échappe à chaque instant où l'on croit pouvoir le définir et le fixer dans une identité. Il ressort de ce récit haut en couleurs l'image un peu tremblée d'un homme de passions : passion pour une femme, portée à un degré d'intensité exacerbée, passion pour le savoir et surtout, on espère l'avoir montré, passion pour les livres, qui lui ouvre bien des portes.

    Riche, Sir Kenelm Digby ne l'a pas toujours été : ses années en tant que corsaire l'ont enrichi, mais la guerre civile lui porte un coup fatal. Il vit toute sa vie à crédit, bien au-dessus de ses moyens, comme bon nombre d'aristocrates de son temps d'ailleurs, n'hésitant pas à mettre ses biens en garantie, y compris ses bibliothèques, et ne payant ses dettes que lorsque frappe la bonne fortune. Lorsqu'il est sur son lit de mort, il est encore à nouveau criblé de dettes. Souffrant depuis plusieurs années de la pierre, il s'éteint à Londres le 11 juin 1665, alors qu'il se préparait à rejoindre ses précieux livres à Paris, où il était chez lui. Dans son testament, rédigé quelques mois plus tôt, il nomme Charles Cornwallis exécuteur testamentaire, à charge pour lui de vendre ses possessions et ses terres en Angleterre, à Francfort-sur-le-Main et Paris pour apurer ses dettes et payer ses obsèques dans l'église de Christ Church à Londres, où il est enterré aux côtés de sa chère Venetia.

    Détail d'un portrait gravé de Digby d'après Anton Van Dyck, ESTAMPES 67. Pièce 4.

    Mais quels étaient ses biens parisiens ? Où vivait-il ? Selon Aurélien Ruellet, il habitait dans l'Hôtel de Blainville et possédait un logis dans la rue des Anglais, qui existe toujours dans le 5e arrondissement, à la « Cour du Maure » (lieu non identifié), non loin de la Sorbonne (Ruellet 2014, 63-64). Il est possible toutefois qu'il s'agisse de la « Cour au More, dite des Anglais », ou encore rue du Maure, une rue perpendiculaire à la rue Saint-Martin en 1640, sur certains plans anciens aussi appelée « Cour des morts » (voir Tynna 293), dans le Marais, donc — un quartier certes moins universitaire, mais beaucoup plus mondain, à l'image de cet homme singulier qui avait si bien su se faire accepter par la société parisienne.

    Cornwallis ne fut pas, quoi qu'il en soit, en mesure de prendre possession des biens de Digby et sa bibliothèque fut saisie et vendue, comme on sait, bien que son descendant, le 2ème Comte de Bristol en eût racheté une grande partie. Grâce aux acheteurs français qui firent l'acquisition de ce qui les intéressait, c'est-à-dire un échantillon sans doute pas tout à fait représentatif de ses collections, puis grâce aux saisies révolutionnaires, on en apprend un peu plus sur les intérêts, les poursuites intellectuelles et les goûts de bibliophile de cet homme moderne encore pétri de l'héritage du passé.

    On espère que cet aperçu sur ce qui constitue bien plus que « quelques épaves de la bibliothèque de Kenelm Digby » (ainsi que l'écrivait Émile Chatelain à la fin du XIXe siècle), en France, et tout particulièrement à la Réserve de la BIS, aura permis d'ouvrir une fenêtre sur la vie et la carrière d'un amateur de livres et un érudit que l'historiographie anglaise désigne parfois comme un « virtuoso » — un curieux et un savant à la fois —, en tout cas un citoyen de l'Europe des Lettres, qui fut un véritable trait d'union et un médiateur entre la France et l'Angleterre à une période charnière de leur histoire.