Élèves et collaborateurs

Le collège est une entité juridique composée d’une communauté de boursiers régis par un principal, dont la plupart habitent dans l’enceinte du collège. Dès son recrutement au Collège de l’Ave Maria, Ramus a donné un sens fort à cette réalité, comme communauté de vie, d’enseignement et d’études qu'il partage avec ses premiers collaborateurs, Omer Talon et Barthélemy Alexandre. Il poursuit, amplifie et systématise cette pratique au Collège de Presles avec Talon, en intégrant les boursiers et les sous-maîtres dans le rôle de copistes, de collaborateurs et d’enseignants, comme en témoigne Nicolas de Nancel dans sa biographie de Ramus. On n’évoque ici que ses élèves et ses collaborateurs principaux, en se limitant aux œuvres qui ont un rapport avec Ramus.

Omer Talon (1520-25 ?-1562)

Talon, Discours sur l'enseignement de la rhétorique, 1544 [VCM 8= 6563]

Originaire de Rosières, dans le diocèse d’Amiens en Picardie, Omer Talon a peut-être fait la connaissance de Ramus au Collège de Navarre. Reçu maître ès arts à Paris en 1536-37, il régente dans le petit Collège de l’Ave Maria avec Barthélemy Alexandre et Ramus, comme en témoigne son discours de 1544, après avoir d’abord enseigné peut-être au Collège du Cardinal Lemoine. Après un bref passage au Collège de Beauvais, contigu au collège de Presles, il rejoint Ramus à Presles, où il vit et enseigne jusqu’en 1558, date à laquelle, déjà malade, il devient curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Pendant toutes ces années, sa vie, son enseignement et ses publications sont rigoureusement coordonnées avec celles de son « frère », à qui le lie une amitié indéfectible. Son testament témoigne de « la dépendance totale, matérielle et morale, de Talon à l'égard de son aîné » (Dupèbe, 1980). Pendant la période de l’interdiction, Talon sert à Ramus de prête-nom ; doté d’un sens aigu de l’ironie, il signe ses polémiques. Après sa mort, peut-être de la syphilis, fin 1562 (son dernier testament est daté du 9 décembre 1562), Ramus réécrit ses Institutiones rhetoricae, ce qui a fait penser à W. Ong qu’elles étaient dès le départ l’œuvre de Ramus. La question de la paternité des œuvres se double de celle de l'amitié qui liait Ramus et Talon et les faisait parler d'une seule voix.

Première publication de Talon, ce discours, suivi de ceux de Barthélemy Alexandre et de Ramus, tous les trois professeur au Collège de l’Ave Maria, présente ses idées et sa pratique en termes d’enseignement de la rhétorique et proclame sa fidélité à Ramus, à la suite de l’interdiction.

Alexandre, Discours sur l'enseignement du grec, 1544 [VCM 8= 6563]

Barthélemy Alexandre (?-1584)

Champenois d’origine, l’helléniste Barthélemy Alexandre fait partie du trio qui enseigne le trivium au Collège de l’Ave Maria à Paris, avant de partir essaimer à Reims, à l’appel du Cardinal de Lorraine, protecteur de Ramus et fondateur de l’Université de Reims (Ramus, préface des Animadversionum Aristotelicarum libri XX, 1548). Il y poursuivra sa carrière jusqu’à sa mort : recteur de l’Université de Reims en 1555, chanoine de Notre Dame de Reims le 30 juillet 1557, proviseur du Collège des Bons Enfants à Reims le 12 mai 1560, il meurt à Reims le 8 août 1584 (Cuisiat, 1998).

Antoine Fouquelin (1533/4 ?-1560 ?)

Cinq discours d’élèves sur la politique, 1554 [RXVIb 4= 16]

Antoine Fouquelin, originaire de Chauny, en Picardie, a dû arriver à Paris vers 1546. En 1548, on le retrouve au Collège de Presles, étudiant en troisième année de philosophie sous la direction d’Omer Talon. En 1554, il enseigne à son tour la philosophie aristotélicienne et cinq discours de ses étudiants sont publiés. L’année suivante, en 1555, il publie un commentaire du poète satirique latin Perse, et la version en vernaculaire de la Rhétorique qui fait pendant à la version française de la Dialectique publiée par Ramus la même année. Il succède ainsi à son professeur Talon, auteur des précédentes versions de la Rhetorica latine. Il deviendra ensuite un disciple de Cujas et poursuivra une carrière de professeur de droit à Orléans. Lors de sa mort précoce, il est conseiller dans un parlement (Magnien, 1997).

Disputatio scolaire de cinq élèves de Fouquelin. Il a confié le discours de conclusion à Nancel. Le premier élève soutient que les rois ne doivent pas philosopher, le second soutient le contraire, le troisième soutient que le roi ne doit pas s’exercer au métier des armes, le quatrième le contraire, et le dernier, Nancel, dit que le roi doit être instruit dans les deux matières.

Nicolas de Nancel (1539-1610)

Nicolas de Nancel est originaire de Tracy, près de Noyon. Il fait ses études au Collège de Presles à partir de 1548, avant de devenir sur place, six ans après, professeur de latin et de grec, et de participer à l’œuvre collective de publication de cours et de traités sur les arts, de traduction du grec, et en particulier du corpus mathématique ancien, sous la direction de Ramus. Il vit à Presles pendant vingt ans, avec une seule interruption, de 1562 à 1565, pour aller enseigner dans la nouvelle Université de Douai. Il a aussi étudié les mathématiques et la médecine, puisqu’il quitte Presles en 1568 pour exercer la médecine à plein temps, d’abord brièvement à Soissons, puis à Tours, de 1570 à 1587. Il sera médecin de l’abbesse de Fontevrault, Éléonore de Bourbon, et de la communauté, jusqu’à sa mort en 1610. C’est un auteur prolifique qui a eu beaucoup de mal à se faire publier et le meilleur biographe de Ramus (Sharratt, 1979).

Plat de la reliure avec la devise et l'ex-libris de Nancel, 1554 [RRA 8= 354]

Ce recueil factice (désormais désigné comme Recueil Nancel) conservé à la Bibliothèque de la Sorbonne a appartenu à Nicolas de Nancel dont l’ex-libris figure sur le plat de la reliure : « Nicolaus Nancelius Trachyensis », et la devise au dos : « Deo duce et auspice » – équivalent latin de sa devise grecque : sun theô. Nancel y a rassemblé cinq ouvrages : l’édition de 1554 de la Rhétorique de Talon, dont c'est le seul exemplaire connu, et celle de la même année des Institutions dialectiques de Ramus, avec leurs contreparties respectives, publiées la même année, dans le clan des « logiciens » fidèles à Aristote : la Rhétorique de Guillaume Cathelineau, professeur au collège de Reims, et les Préceptes dialectiques de Nicolas de Grouchy (dont la première édition remonte à 1552). La Description de toute la dialectique de Joannes Foetius Ferreolaeus conclut l’ensemble dans la lignée d’Agricola (division de la dialectique en invention et jugement et rhétorique considérée comme pendant de la dialectique). La juxtaposition des pièces réunies par Nancel reproduit, avec les œuvres publiées des maîtres, le schéma de la disputatio scolaire proche de celle qu’il pratique la même année comme élève en fin d’études.

Jean Péna (1531/32-1558)

Jean Péna, trad. des Sphériques de Théodose de Tripoli, 1558 [HJR 4= 90. Pièce 1]

Jean Péna est né à Moustiers, en Provence, en 1531 ou 1532. Recruté au Collège de Presles pour ses talents de copiste, il obtient sa maîtrise ès arts sous la direction de Talon. Ramus destine ce passionné de latin, de grec et surtout de philosophie naturelle et de mathématiques, à le décharger du fardeau des mathématiques (Ramus, Collectaneae praefationes (1599), 1969, p. 135). Il obtient une chaire de mathématiques au Collège Royal en 1556, mais il meurt de phtisie le 23 août 1558, à l’âge de 26 ans. Nancel raconte que Péna a traduit plusieurs textes mathématiques antiques, avec Frédéric Reisner et lui-même (Nancel, Petri Rami vita, p. 205). Entre 1556, l'année de sa nomination comme professeur royal de mathématiques, et 1558, l'année de sa mort prématurée, il publie trois traductions de textes mathématiques grecs  : l'Optique, la Catoptrique et les Éléments de musique d'Euclide, et les Sphériques de Théodose de Tripoli.

Dans la préface, Péna énonce l’utilité de la sphérique, l’usurpation de Théodose par Vitellion, enfin, le caractère défectueux de la traduction latine précédente, dont il pense qu’elle a été faite sur la version arabe et non grecque qui l’allonge et l’obscurcit considérablement.

Antoine Loysel ou Loisel (1536-1617)

Jurisconsulte, auteur des Institutes coustumières (1608), Loisel a étudié au collège de Presles. Il fut, avec Nicolas Bergeron, l’exécuteur testamentaire de Ramus.

Portrait d'Antoine Loisel, [Musée de l'Oise]

« [Loisel] fut envoyé à Paris au mois de mai 1549, peu auparavant l’entrée du Roi Henri II et fut mis au collège de Presles, duquel Ramus était lors principal, qui l’aima et estima tellement toujours depuis, qu’il le fit exécuteur de son testament, et légateur d’un quart de tous ses meubles et dettes ; qui revinrent pourtant à néant à cause de l’inconvénient de la Saint Barthélemy. Ramus n’était pas encore de cette religion nouvelle : au contraire on châtiait ceux qui n’allaient point à la messe : et néanmoins bientôt après on commença d’en parler : et il y avait des écoliers qui lui en montraient des livrets. Qui est une chose, dit-il, très dangereuse en ce premier âge, en ce que la jeunesse entrant en des doutes et des difficultés dont elle ne se peut résoudre de soi-même, n’en ose aussi communiquer ni s’en découvrir à ceux dont elle en pourrait être instruite : à raison de quoi il est très bon de donner des pédagogues aux enfants, qui veillent perpétuellement sur eux. Mais feu son père n’avait pas les moyens de l’entretenir autrement qu’au commun du collège ».

Vie de M. Antoine Loisel, 1652 [HLFA 4= 73, p. VII]
Vie de M. Antoine Loisel, 1652 [HLFA 4= 73, p. VIII]
Rami et Talaei Collectaneae, 1577 [VCR 6= 6513]

Nicolas Bergeron (15..-158..)

Avocat au Parlement de Paris, Nicolas Bergeron a été, avec Loisel, l’exécuteur testamentaire de Ramus et a dû s’employer à faire respecter ses volontés concernant la chaire de mathématiques. Il a publié une nouvelle édition de l’abrégé de grammaire de Ramus et un important recueil de préfaces, de lettres et de discours de Ramus et Talon qui donnent une vision d’ensemble de leur programme (montré ici). D'autres travaux témoignent de sa proximité avec les intérêts de Ramus, en particulier une chronologie universelle (Table istorialle, Paris, Vascosan, 1562) et sa collaboration à L'Encyclopédie, ou la suite et liaison de tous les arts et sciences (1587) de Christophe de Savigny (Angelini, 2008).

Aristotelis mechanica græca, éd., trad. et comm. de Monantheuil, 1599 [RXVIB 4= 963]

Henri de Monantheuil ou Monantholius (ca. 1536-1606)

Henri de Monantheuil, né à Reims, mort à Paris, a été l’élève de Ramus au collège de Presles. Il fut régent de la faculté de médecine de Paris, puis professeur royal de mathématiques, à partir de 1574. Sa traduction et son commentaire des « Mécaniques » attribuées à Aristote (montrés ici) témoignent de sa poursuite de l’œuvre de traduction et de commentaire des textes scientifiques de l’Antiquité engagée par Ramus avant sa mort.

Théophile de Banos ou Banosius ( 1595)

Vie de Ramus par Banos, 1577 (1ère éd. 1576) [VCM 6= 6603]

Théophile de Banos, huguenot originaire de Bordeaux, a étudié à Genève. Envoyé à Paris en 1566, il en est chassé par la guerre civile et séjourne à Heidelberg en 1569, où il retrouve Ramus, dont il deviendra le biographe et l’éditeur après son assassinat. Il fut pasteur de l’Église française de Francfort-sur-le-Main de 1570 ou 1571 à 1578, et y mourut en 1595. Il est aussi l’auteur du De politia civitatis Dei et hierarchia romana (Francfort, Wechel, 1592) et de la Censura orthodoxa in excommunicationem Sixti V PP. (ibid., 1592).

 

Banos publie sa Vie de Ramus (Petri Rami vita) un an après celle de Freige, dont il recopie des passages entiers et reprend les sources judicieusement sélectionnées dans les passages autobiographiques des publications de Ramus. Il l’inclut dans l’épître dédicatoire à Sir Philip Sidney placée en exergue de son édition des Commentariorum de religione christiana libri IV de Ramus qu’il publie, en 1576, d’après un manuscrit autographe. Elle est rééditée par Wechel en 1583 et 1592.

Johann Thomas Freige, Frey, ou Freigius (1543-1583)

Portrait de Freigius [Bildarchiv Austria]

Johann Thomas Freige est né et a reçu une formation humaniste à Fribourg. Maître ès arts en 1559, il enseigne la dialectique tout en poursuivant des études de droit, puis les grammaires latine et grecque, jusqu’en 1567, où un différend académique qui se double d’un différend religieux le contraint de s’enfuir à Bâle. Il y enseigne la rhétorique et obtient son doctorat utriusque iuris, tout en poursuivant « une tentative de réforme générale de tous les “arts” » (Mazzacane, 1971, p. 70 et passim). À la suite de sa rencontre avec Ramus, à Bâle, qu’il décrit comme une véritable conversion, il développe un programme de diffusion du ramisme dans tous les domaines du savoir. Enseignant à l’Université de Fribourg entre 1570 et 1575, dont il est chassé du fait de ses convictions calvinistes et ramistes, il a été recteur de l’Académie d’Altdorf à partir de 1576. On considère ici Freige uniquement comme éditeur et divulgateur de l’œuvre de Talon et de Ramus dont il fut le premier biographe et le diffuseur le plus important en Europe du Nord.

Freigius, Petri Rami vita, 1575 [VCM 8= 6565]

Freige est l'auteur de la première Vie de Ramus. Elle figure en tête d'un recueil d'œuvres de Ramus: les commentaires sur les huit discours consulaires de Cicéron par lesquels il a commencé son enseignement public, l'éloge par Ramus de la ville de Bâle, son discours de 1546 sur la conjonction de l'éloquence et de la philosophie, et une sélection de commentaires publiés par Ramus entre 1551 et 1557, que Freige complète par les Tabulæ breves et expeditæ in præceptiones rhetoricæ de Georg Cassander (Paris, Guillaume Richard, 1542), et par le De optimo statu reipublicæ dialogus de Robert Breton (1510 ?-1551 ?), dialogue entre Pierre du Chastel et Aymar de Ranconnet sur la meilleure forme de république (Paris, Wechel, 1543). Freige ne suit pas la chronologie des enseignements et de leurs publications par Ramus.

On est loin d’avoir évoqué tous les collaborateurs de Ramus. On en trouvera des listes dans les biographies de Nancel et de Banos et dans les ouvrages de Waddington (1855) et Verdonck (1966). La diffusion du ramisme en France s’est faite par les commentaires «  ramistes » de textes poétiques : Michel Magnien mentionne, outre Antoine Fouquelin, Jean Amariton et Pierre Gautier-Chabot, et en français, Pantaléon Thévenin, Claude Mignault (Magnien, 1997, p. 291-292). Au nombre des élèves de Ramus, on mentionnera le bâlois Theodor Zwinger (1533-1588), universitaire et auteur du Theatrum vitae humanae (Bâle, 1565). On trouve aussi des listes de ses amis et de ses ennemis chez Banos (1577), Nancel (1599) et Waddington (1855).