L'étudiante, une figure en évolution

Paul Jarry, Étudiants et grisettes romantiques. Paris, 1927. Frontispice d'après une lithographie d'Henri Bouchot.

Une nouvelle venue

En 1873, le Dictionnaire de la langue française d'Émile Littré donne une définition équivoque de l'étudiante :

« Au féminin, étudiante, dans une espèce d'argot, grisette du quartier latin. Commis et grisettes, étudiants et étudiantes affluent dans ce bal. »

Émile Littré, Dictionnaire de la langue française, Paris, Hachette, 1873, tome 2, p. 1538.

Compagne de distraction ou de romance,« l'étudiante » ne fréquente donc en aucun cas réellement les bancs de l'université.

La persévérance des pionnières et le bon vouloir de quelques professeurs, recteurs ou ministres permettent peu à peu d'ouvrir la voie. Comme ces éclaireuses le font habilement remarquer, rien, en effet, dans la loi française n'interdit à une femme de passer des examens.

Cependant, les candidates n'y accèdent qu'après avoir sollicité des permissions exceptionnelles longuement discutées et obtenu des dispositifs spéciaux qui soulignent l'originalité de leur démarche : horaires décalés ou espaces réservés pour suivre les cours, isolement pour étudier et concourir.

Doctoresse 2 : L'étudiante. Carte postale humoristique. Vers 1900.

Préjugés et réticences

La promiscuité entre hommes et femmes et les éventuelles diversions qui pourraient s'ensuivre comptent parmi les préjugés que les première étudiantes doivent déjouer : sobrement vêtues, elles leur opposent un zèle studieux et une assiduité sans faille.

La plupart de ces femmes passent brillamment leurs examens, et, souvent, impressionnent. Certains grands professeurs encouragent et protègent les nouvelles recrues.

Madeleine Brès, par exemple, première Française à obtenir le doctorat de médecine en 1875, reçoit les éloges du doyen Adolphe Wurtz et du célèbre médecin neurobiologiste Paul Broca qu'elle a assisté provisoirement à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière, pendant le siège de Paris et la semaine sanglante.

Elle se voit pourtant refuser l'accès aux concours de l'externat et de l'internat par le directeur de l'Assistance publique qui refuse de faire un précédent, malgré des pétitions en sa faveur. Elle s'installe par la suite en ville en tant que pédiatre et consacre ses efforts à promouvoir l'hygiène et les soins en direction des mères et des jeunes enfants.

Bien qu'il ait signé l'une des pétitions en faveur de Madeleine Brès, Martin Charcot partage les préjugés de son temps face à la Polonaise Caroline Schultze qui, en 1888, soutient une thèse sur La femme médecin au XIXe siècle. Pour l'éminent neurologue, la professionnalisation des femmes semble contre-nature, opposée à la valeur esthétique de la femme, et même receler d'autres dangers :

« Votre thèse est excellente, dit-il ; aussi bien les femmes médecins seront toujours très intelligentes et passent bien leurs examens ; elles les passent mieux que les hommes. Vous l'avez même montré par de curieuses statistiques.

Mais permettez-moi de vous dire que ces femmes pensent à elles beaucoup plus qu'à l'humanité. Elles aspirent à prendre le premier rang, les places en vue, les places lucratives. »

Martin Charcot, propos rapportés par G. de Molinari dans "Femmes-avocats et femmes-médecins", Journal des économistes, n° de janvier 1889, pp. 170-172.

Lettre de protestation. 15 décembre 1906.

Réactions des étudiants

Les premières étudiantes rencontrent, en général, un accueil assez favorable de la part de leurs camarades masculins, qui font preuve le plus souvent de respect et de solidarité. Toutefois, les effectifs féminins s'accroissant au tournant du siècle, des réactions plus vives manifestent le sentiment d'invasion qui s'empare de certains :

« Les soussignés ;
Étant donné que l'élément féminin tend tous les jours à envahir de plus en plus la salle de lecture de la bibliothèque ;
Étant donné que par la suite de la prédominance de cet élément féminin, des travailleurs sérieux se voient interdire l'accès de la bibliothèque ;
Étant donné que les dites femmes, par leur bavardages intempestifs, rendent à leurs voisins tout travail sérieux absolument impossible ;
Pour ces motifs ;
Demandent à monsieur le Conservateur d'interdire aux étudiants du sexe féminin l'accès de la bibliothèque. »

Lettre de protestation dénonçant le bavardage des femmes dans la bibliothèque, 15 décembre 1906. Archives administratives de la bibliothèque de la Sorbonne.