Plans de la ville d'Edo

D'Edo à Tōkyō

Tōkyō fut appelée Edo (« entrée de la baie » ou « estuaire ») jusqu'en 1868. Placée à l'embouchure de plusieurs fleuves côtiers – la Tama à l'Ouest, la Sumida et l'Arakawa en son cœur, la Naka et l'Edo à l'Est –, elle est située sur une baie constituant l'ouverture maritime sur l'océan Pacifique de la plus grande plaine du Japon – celle du Kantō. La localité qui n’était à l’origine qu'un modeste village de pêcheurs, fortifié au XVe siècle, voit son destin basculer lorsque le shōgun Tokugawa en fait sa base militaire puis le siège de son gouvernement féodal, le bakufu. L'instauration de ce dernier en 1603 marque le début de l'époque d'Edo (1603-1868), durant laquelle la cité du même nom devient la capitale effective du Japon – Kyōto demeurant la capitale officielle – et l'une des villes les plus peuplées au monde. À la restauration de l'empereur en 1868, son rôle de centre politique du Japon est conforté : le château d'Edo devient la résidence de l'empereur et la ville est rebaptisée Tōkyō (« capitale de l'Est ») par opposition à Kyōto, l'ancienne capitale.

L'Edo zukan kōmoku kon et ses déclinaisons

Le plus ancien plan d'Edo conservé date de 1632. Il est suivi à la fin des années 1650 d'une autre réalisation significative : en 1657, à la suite d'un incendie particulièrement ravageur pour la cité, le shogun confie à Hōjō Ujinaga la mission d'en faire la cartographie intégrale afin de faciliter le processus de reconstruction. Il en résulte une carte manuscrite soumise au gouvernement shogunal en 1658 et, les années suivantes, la publication du premier plan d'Edo imprimé, dressé à la suite d'un arpentage, intitulé Kanbun go-mai zu. À partir de la fin du XVIIe siècle, de nombreuses adaptations de ce dernier commencent à circuler. Parmi elles, le Edo zukan kōmoku kon, dessiné en 1689 par Ishikawa Ryūsen, est réputé pour sa précision.

Comme dans son modèle officiel et selon une convention répondant à des impératifs de sécurité, le château d'Edo apparaît, au centre de la carte, sous la forme d'un espace vierge. Les demeures des daimyō s'étendent autour de manière concentrique, dans une zone dessinant une sorte de spirale. Mais le plan de Ryūsen s'écarte de son modèle à plusieurs égards, notamment par la place qu'y prend le texte. Dans la partie inférieure gauche du plan, qui devrait donner à voir la baie d'Edo, une longue table décline les noms des 240 daimyō dont les familles vivent à Edo selon le système de résidence alternée du sankin kōtai, permettant au shōgun de contrôler fermement ses vassaux (le daimyō séjourne en ville une année sur deux et y laisse sa famille en son absence). En mettant en valeur les résidences des seigneurs féodaux ainsi que l'ensemble des temples bouddhistes, représentés en couleurs, le document contribue à asseoir la légitimité des systèmes politique et religieux japonais, tout en ayant des visées pratiques. Conçu pour avoir une large audience, il indique aussi bien les buts de pèlerinage que les lieux de loisirs, tels ceux du célèbre Yoshiwara, quartier des plaisirs et s'accompagne d'un petit guide contenant des renseignements sur les commerces, les médecins ou les écoles. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, le Edo zukan kōmoku kon demeure l'une des principales sources d'inspiration des plans d'Edo puis de Tōkyō. Le plan d'Edo ci-dessus, conservé à la BIS, constitue un exemple de ses multiples déclinaisons.

L'Edo kiriezu

La BIS détient également un exemplaire de l'Edo kiriezu – littéralement « Edo en cartes divisées ». Imprimé pour la première fois par Kichimonjiya entre 1755 et 1775, ce plan très populaire est réimprimé par Owariya Seishichi dans une version plus complète, en 30 cartes différentes, représentant chacune un quartier avec un titre particulier, réparties de manière concentrique autour du palais impérial japonais. Il s'agit d'un des plus grands plans urbains édités à cette époque.

L'Edo Kiriezu fournit moins des données réellement topographiques que des informations sur l'organisation sociale et politique de la ville, qu'il donne à voir grâce à des conventions de couleurs et les nombreuses précisions qui y figurent.

S'étendant sur 56 km2 et comptant probablement près d'un million d'habitants au milieu du XIXe siècle, la capitale du shogunat compte trois types de sol en fonction de la classe de population qui l'occupe : les secteurs des guerriers, ceux des temples et sanctuaires et enfin celui des commerçants et citadins.

Sur les cartes de l'Edo kiriezu, pour chaque quartier, le blanc symbolise les secteurs dépendant des clans guerriers, le rouge celui des les temples et sanctuaires, le gris les secteurs marchands.

La ville se caractérise par une forte présence de la classe guerrière, samourais et daimyō, les grands seigneurs féodaux. Implantés sur près de 70 % de la superficie totale de la ville, les secteurs dévolus aux clans guerriers sont cependant moins densément peuplés que les secteurs commerçants, qui n'occupent quant à eux que 15 % de la surface urbaine. Quant aux circulations, rues, places et ponts, ils sont représentés en jaune, les cours d’eau en bleu et les parties végétalisées (terrains d'équitations, rives et bois) en vert.

Au centre de la ville, les secteurs ont tendance à constituer de vastes ensembles continus, alors que dans les secteurs périphériques, les différents types de sols se jouxtent de façon plus fragmentée. Le réseau dense des canaux visible sur plusieurs cartes rappelle que la ville s’est étendue sur de nombreuses terrains, îles ou presqu'îles artificiels : à l'issue des nombreux chantiers lancés par le shogunat, Edo compte à la fin de la période du même nom 210 hectares supplémentaires gagnés sur la mer. Dans les décennies suivantes, le paysage côtier de la capitale tend à se figer, phénomène contrastant avec l’importance croissante de Yokohama, ville voisine, choisie par le shogunat pour accueillir les navires de commerce étrangers.