Introduction

Achevé d’imprimer le 8 juin 1637, le Discours de la méthode, suivi des trois Essais de cette méthode (La Dioptrique, Les Météores et La Géométrie), constitue la première publication de Descartes, et le premier de ses quatre grands livres. Suivront les Meditationes de Prima Philosophia (1641-1642, trad. fr. 1647), les Principia Philosophiæ (1644, trad. fr. 1647) et enfin Les Passions de l’âme (1649).

L’ouvrage paraît à Leyde, chez Jan Maire. Descartes, retiré aux Pays-Bas depuis plus de huit ans, en a surveillé de près l’impression. Déjà célèbre dans l’Europe savante, notamment grâce au réseau de correspondance où le père Mersenne, à Paris, joue un rôle clé, il a pourtant préféré conserver un anonymat de façade. Il a alors 41 ans : le Discours et les Essais sont donc des œuvres de pleine maturité. Mais Descartes est, selon ses propres déclarations, un homme qui sait attendre.

Dix-huit ans se sont écoulés depuis ses premiers travaux en mathématiques et en physique, et depuis ses premières réflexions (novembre 1619) sur la nouvelle philosophie à construire. Quatre ans aussi, depuis que l’annonce de la condamnation de Galilée (22 juin 1633) est venue le dissuader de publier sa propre physique telle qu’exposée dans son Monde ou Traité de la Lumière  (1632-1633, publié seulement en 1664). L’exposé général de la physique attendra 1644 avec les Principia Philosophiæ ; et celui de la métaphysique ne sera prêt qu’en 1640-1641.

Dans ces conditions, et si le moment était venu de publier, que faire ? La décision de Descartes a été de livrer au public des échantillons de sa science et de sa philosophie (Specimina philosophiæ : c’est le titre de l’édition latine de 1644) qui sont autant de démonstrations de la puissance de son esprit et de sa méthode. D’où l’extraordinaire diversité des matières de cet ouvrage sans pareil, qui fut d’ailleurs très long à composer : une préface en forme d’autobiographie intellectuelle - le fameux Discours, indûment autonomisé par les éditeurs modernes – y précède trois remarquables traités relevant de sciences différentes (optique, météorologie, mathématique pure), et contient lui-même divers développements sur la méthode, la morale, la métaphysique et la physique.

Le livre, rédigé en français pour toucher un plus large public, y compris féminin, n’aura pas le succès escompté : pas une réédition avant celle, posthume, de 1657. Une traduction latine laissant de côté la très difficile Géométrie paraîtra en 1644 et sera jointe au texte latin des Principes de la Philosophie. Mais peu importe : auprès de ses premiers lecteurs, l’ouvrage a fait grande impression. Il ouvrait la voie à des œuvres plus systématiques, et reste prodigieux à tous égards – par l’inventivité, la subtilité, la force du raisonnement, le style même  - jusque dans ses parties les moins fréquentées.

Denis Kambouchner