L’optimisme de l’arrière. Caricatures satiriques et patriotiques au sein des imaginaires collectifs

Représenter l'ennemi : la haine du "Boche"

L’ennemi est la cible favorite des dessins satiriques des cartes postales. La caricature alliée s’attaque aux « boches » et réemploie une imagerie, récurrente depuis la guerre de 1870, qui cristallise la haine de l’ennemi. Ces représentations visent à déshumaniser l’ennemi, afin de servir la propagande. Ainsi le soldat allemand est-il représenté à la fois comme un être violent, bestial, laid et stupide, mais également, de façon plus anecdotique, comme voleur de pendules - une représentation qui date de la guerre 1870 et qui persiste. Les caricatures soulignent encore le caractère exsangue de l’armée allemande, présentée comme un ensemble de lâches et de pleutres affamés et mal équipés.

 

La carte ci-contre fait référence à l'épisode de la bataille de la Marne (septembre 1914). La presse parisienne prétend alors que les soldats allemands, faméliques, se sont jetés sur les champs de betterave sucrières pour les dévorer crues. Cette représentation fait écho aux difficultés de ravitaillement pendant la guerre, et entretient l'image d'un ennemi affamé et prêt à se rendre. On distingue, dans le barda du soldat, une pendule.

La caricature s’attarde également sur la « Kultur » allemande, figurée comme la négation de la civilisation dont la France et ses alliés incarnent les valeurs. La Kultur est représentée comme grossière, vulgaire et barbare, à l’image du « pain KK », le pain de guerre allemand fabriqué à base de pommes de terre (Kriegskartoffelbrot). Objet de nombreuses représentations scatologiques, ce motif fait office de pierre angulaire du dénigrement. Dans la carte ci-contre, l'Allemagne est représentée sous la forme d'un pot de chambre renversé par un soldat français. Il s'y déverse un ensemble de mots : langues, princes, grands hommes, industrie (Kub), toute la culture allemande est considérée comme bonne à jeter.

Guillaume II est sans doute la figure la plus caricaturée et bousculée de tous les pays alliés. Tenu pour responsable de la guerre, il symbolise le mal absolu et est dépeint en barbare, en boucher de l’Europe ou en Attila moderne. Paradoxalement, pour désamorcer la peur de cet ennemi dangereux, la caricature cherche aussi à ridiculiser et affaiblir le Kaiser. On le reconnaît souvent à sa moustache démesurée ou à son bras atrophié. On le voit transformé en rapace, en serpent, en monstre, et plus fréquemment encore, en porc, à l’instar de ses soldats. 

Cette carte est un exemple des nombreux cas d'anthropomorphisme rencontrés dans la caricature. Par un renversement des rôles opéré par l'illustrateur, l'animal représenté ci-contre s'insurge à l'idée qu'on ait pu le comparer au Kaiser.

 

Le titre de la carte de gauche fait référence aux étrennes utiles préconisées en Allemagne pour Noël 1914, destinées aux soldats (vêtements chauds, cigarettes…), et incitant aussi les civils à faire des économies. Le colis, estampé "envoi de Joffre", fait également référence à la mythologie, tenace depuis 1870, des allemands voleurs de pendules.

Les alliés du Kaiser sont également largement caricaturés et font souvent office de seconds rôles dans l'illustration satirique. Le Kronprinz Guillaume de Prusse, fils héritier de Guillaume II, est régulièrement ridiculisé et attaqué sur son physique et son tempérament : il est représenté en général incompétent, en prince cambrioleur (les pendules, encore une fois) et en fils brimé. L’empereur d’Autriche François-Joseph Ier est, quant à lui, représenté comme un pantin impuissant et sénile, manipulé par Guillaume II. Le sultan ottoman Mehmed V est considéré comme « l’homme malade de l’Europe », et l'alliance avec l'Empire ottoman comme une hérésie... C'est donc souvent le caractère disparate des alliances ennemies qui est souligné par la caricature.

Têtes de Pipe !, CH-Léo, 1915